La photographie a bientôt près de deux siècles d’existence[1]. À ce titre, et même si les archives photographiques du XIXe siècle sont relativement rares, plus nous avançons dans le XXIème siècle et plus elle devient une source historique de premier ordre.
Quelle que soit la période où remonte la prise de vue, la photographie reste un formidable témoin. Témoin privilégié de l’histoire familiale et sociale bien sûr, à travers les photos de famille, les photos de classes, les cartes postales anciennes…, mais au-delà d’un instantané sur la vie quotidienne de nos ancêtres, ces vues nous apportent une mine de renseignements sur l’histoire des lieux. Pour récolter les pépites, l’historien se doit d’être curieux : cela passe bien souvent par une étude attentive des prises de vues et nécessite de scruter les arrière-plans ou de disséquer les vues aériennes. Utilisé ainsi, l’outil devient particulièrement précieux pour qui s’intéresse à l’histoire de l’évolution des villages.
Pour illustrer notre propos, nous avons choisi deux exemples qui montrent à quel point les photos anciennes sont une source archivistique à part entière. Ils concernent des éléments fortifiés qui ont vu le jour à l’époque de la guerre de Cent Ans dans des villages de Basse Auvergne : le premier s’intéresse à un quartier du village de Meilhaud et le second à l’église de Mailhat.
Meilhaud,
et le souvenir de son “vieux fort”.
Le premier cas que nous abordons concerne le village de Meilhaud dans le département du Puy-de-Dôme. Les sources photographiques en question sont l’oeuvre de M. Gabriel Fournier[2] : il s’agit de deux photos aériennes prises à près de trente ans d’intervalle, en 1969 et 1997[3].
Dans sa quête de connaissances sur l’histoire de l’évolution des villages d’Auvergne, Gabriel Fournier a compris très tôt combien les vues aériennes pouvaient être un instrument de recherche à part entière. Dès les années 60, dans la continuité de son excellent travail de thèse sur le peuplement alti-médiéval des campagnes de Basse Auvergne[4], il fut un précurseur en la matière, et n’hésitait pas à prendre de la hauteur pour vérifier, amender et/ou confirmer ce que l’étude du cadastre ancien et le travail sur le terrain pouvaient laisser entrevoir. L’ensemble de ces données, confrontées aux textes d’archives, constituent ainsi des dossiers documentaires extrêmement complets et précis sur l’évolution des lieux[5].
Revenons à la vue aérienne de Meilhaud prise à la fin des années 60. À cette époque, nous voyons encore les multiples loges du “vieux fort”[6], blotties près de l’église. L’étude de plusieurs textes atteste de l’existence de ce réduit fortifié dès le début du XVeme siècle. Le cas est particulièrement intéressant car, à travers l’examen des textes médiévaux rassemblés par Gabriel Fournier, nous pouvons très bien appréhender l’historique de l’évolution du village.
Cette photographie est aujourd’hui un témoignage précieux, et probablement unique, car il ne reste plus rien de ce secteur à l’habitat très dense. Déjà, sur la seconde prise de vue de 1997, le quartier est remplacé par une place vide aux abords de l’église. Seul survivant, le rempart a bénéficié de la bienveillance des administrés qui ont sans doute jugé qu’il constituait un élément fortifié suffisamment important pour ne pas mériter la destruction. Ce ne fut pas le cas pour les petites loges qui avaient pourtant vu le jour à la même époque dans son périmètre, et qui sont elles aussi une caractéristique majeure d’un fort villageois. Quoi qu’il en soit, un quartier vieux de 6 siècles venait de disparaître, dans l’indifférence…
Bien entendu, et comme souvent dans le cas des forts villageois réduits de ce type, le choix de faire table rase a probablement été dicté par l’état de délabrement du bâti et la volonté de sécuriser la zone, mais il révèle tout autant l’ignorance de l’histoire du lieu par ses administrés et leur manque d’initiative pour envisager une réhabilitation du plus ancien quartier du village. Il ne fut pas rare malheureusement que les “Projets d’Aménagement de Bourg” lancés entre les années 80 et 2000 s’accompagnent de la destruction de tout ou partie de quartiers fortifiés médiévaux.
Mailhat,
et le souvenir de son église fortifiée…
Au détour de recherches sur l’ancienne paroisse de Mailhat (commune de Lamontgie, département du Puy-de-Dôme), nous avons trouvé plusieurs photographies dans une des nombreuses bases de données du ministère de la culture[7]. L’une d’entre elles a retenu particulièrement notre attention.
La photographie est tirée de la collection de l’architecte Gabriel Ruprich-Robert[8] qui a oeuvré pour le diocèse de Clermont au début du XXe siècle[9]. La légende reportée sur la fiche du document indique : “ tour et partie supérieure du portail”. En effet, la prise de vue montre une tourelle qui jouxte le portail sud, tour qui semble associée à l’étage supérieur de l’édifice. L’appareillage utilisé pour ces deux portions du bâti tranche nettement avec les parties romanes, et semble remonter à l’époque troublée de la Guerre de Cent Ans.
Comme dans le cas précédent de Meilhaud, le cliché est tout aussi exceptionnel car ces éléments ont aujourd’hui disparu. Ici aussi, et sans chercher à comprendre les raisons pour lesquelles l’architecte du diocèse a fait table rase de la chambre forte et de sa tour d’accès[10], nous remarquons que cette décision a failli gommer définitivement une part importante de l’histoire du sanctuaire. Fort heureusement une partie de l’étage fortifié située sur le choeur a échappé à la destruction. Ce reliquat de chambre forte, associé à la photographie prise au début du XXeme siècle sont les seuls vestiges permettant de documenter l’épisode de mise en protection de l’église et de son quartier à la fin du XIVe siècle ou au début XVe siècle.
Ces deux exemples montrent avec quelle facilité un pan de l’histoire d’un lieu ou d’un monument peut subitement tomber dans l’oubli. Les photographies sont là pour garder en mémoire ce que nous n’avons pas su, ou ce que nous ne saurons pas préserver… Maintenant le plus dur reste à venir, à savoir : stocker et transmettre ces ressources photographiques aux générations futures. Même si le support est différent, la problématique reste la même que toutes les autres formes d’archives.
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Notes —
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