Les actes notariés cachent souvent de nombreux détails intéressants sur l’histoire de nos ancêtres. Seul un dépouillement systématique des contrats permet parfois de rencontrer des épisodes surprenants de leur vie…

L’épisode que nous présentons ici est tiré d’un acte de vente issu des minutes de Me. Martin Chastagnier, notaire à Mailhat*. L’acte, daté du 1er juin 1615 (Archives Départementales du Puy-de-Dôme, 5E32 792) porte l’intitulé suivant : « Vente d’entre Pierre Besseire laboureur de Ferroussat, et Anthoine et Jehan Chavans freres habitants de Lamontgie ». Un acte de vente parmi tant d’autres me direz vous, perdu au milieu des liasses du notaire local. Mais si l’on prend le temps de s’intéresser à son contenu, on trouve parfois des détails étonnants sur la vie de nos ancêtres…

Pierre Bessere, laboureur, vend « un chazal de maison et un jardin a chamvre »

Nous sommes au début du XVIIe siècle dans le petit village de Ferroussat dépendant de la paroisse de Bansat. Un habitant du lieu, Pierre Bessere, laboureur de son état, vend « un chazal de maison et un jardin a chamvre » aux deux frères Chavans, du village voisin de Lamontgie.

Arrêtons-nous quelques instants sur la nature des biens compris dans la transaction : « un chazal de maison et un jardin a chamvre ». Le mot « chazal » ou « chézal /chésal » n’est plus usité de nos jours, mais il fut longtemps employé – jusqu’au XVIIIe siècle – comme synonyme de maison ou de ruine. Lorsqu’il est expressément associé à maison, l’expression « chazal de maison » fait probablement référence à une dépendance en ruine. Le bâtiment – bien souvent de taille modeste – était généralement mitoyen du bâtiment principal.
Le « jardin a chamvre » était un petit jardin, très souvent attenant à la maison d’habitation, dans lequel le on cultivait le chanvre (destiné à être tissé), mais pas exclusivement. En Auvergne, à cette époque-ci, on rencontrait également le terme de « chènevière » pour identifier une terre semée de « chenevis », toujours de dimensions réduites et située proche des habitations.

Teigne** et médecine, enfance et campagne

Mais l’objet de la vente n’est pas ce qui a retenu notre attention. L’intérêt est ailleurs, dans la raison qui a poussé le vendeur à se séparer d’une partie de ses propriétés. Elle a paru suffisamment étonnante à Maître Chastagnier pour qu’il la mentionne au sein de l’acte, chose rare dans ce type de transaction où l’on s’intéresse exclusivement à la nature des biens et à leur règlement plutôt que d’exposer les états d’âme des contractants. Nous reportons l’extrait en question :

« La presente vante faict par ledit vandeur pour emploier largent dicelle pour faire guerir deux de ses enffans de la maladie de la teigne dont ils sont attains nayant heu aultre moiens pour y pouvoir subvenir » [L’orthographe a été conservé en l’état, les syllabes contractées ont été transcrites]

Deux enfants du laboureur de Féroussat avaient donc contracté la maladie de la teigne. Au début du règne de Louis XIII, dans le royaume de France, point de CMU ni même de Sécurité Sociale ! L’accès aux soins était bien souvent réservé aux nobles et aux bourgeois des villes et les chirurgiens et autres médecins ne couraient pas les campagnes. Dans le même temps, le Grand Siècle faisait montre « au mieux d’indifférence, au pire de mépris ou de brutalité envers l’enfance. » [Les soins aux enfants au XVIIè siècle, Bernard Jolibert]Cette attitude distante – ou ignorante – vis-à-vis des enfants se traduisait sur le plan médical par une pratique extrêmement limitée : « soins sommaires, médecine spécialisée inexistante, thérapeutique hasardeuse.» [Les soins aux enfants au XVIIè siècle, Bernard Jolibert]De surcroît, en dehors des villes ou les teigneux pouvaient être accueillis dans des hôpitaux habitués à « traiter » ce type de pathologie, les teignes étaient soignées avec appréhension par les médecins des campagnes, et bien souvent ignorées… Le résultat était une mise à l’écart des enfants teigneux, sans aucune forme de traitement.

Le « commerce » de la teigne

Confronté à cette situation qui pouvait perdurait et au profond discrédit social qui en découlait, les parents, en désespoir de cause, se tournaient souvent vers des pseudos « médecins » spécialisés dans le traitement des teignes. Car l’abandon de la médecine traditionnelle avait bien entendu généré des vocations, et « le traitement des teignes devint alors pour beaucoup un véritable commerce » [Teignes et teigneux: Histoire médicale et sociale, Gérard Tilles]. Les charlatans s’étaient multipliés en dehors de zones urbaines, portés par le profond désarroi des parents. Pourtant, les méthodes de soins prodigués aux enfants ressemblaient plus à de la barbarie qu’à de la médecine, mais les quelques résultats positifs suffisaient à maintenir l’espoir… et le commerce.
L’histoire ne dit pas vers quelle méthode de soins Pierre Bessere s’est tourné pour tenter de guérir ses enfants, mais il est probable qu’il ait fait appel à l’un de ces guérisseurs fortunés, pour 6 Livres Tournois…

Notes –
« Chésal – Vieux mot François qui signifioit autrefois maison & église. Domus, casale, casalagium, Templum. (…) On écrit quelquefois chézal par un z. » [Extrait du dictionnaire de Trévoux, 1743]« Chésal – s.m. (ché-zal – lat. casa, même sens). Maison, habitation. Vieux mot » [Extrait du Grand Dictionnaire Universel, P. Larousse]

Bibliographie –
Teignes et teigneux : Histoire médicale et sociale, Gérard Tilles. Springer Science & Business Media, 2009.
Les soins aux enfants au XVIIè siècle, Bernard Jolibert, Le Portique [En ligne], 3-2006 | Soin et éducation (I), http://leportique.revues.org/874

* Mailhat, anciennement chef-lieu de paroisse, aujourd’hui village situé sur la commune de Lamontgie, Puy-de-Dôme.
** La teigne est une infection des cheveux ou des poils. C’est une mycose provoquée par un champignon microscopique attaquant le cuir chevelu. Elle se caractérise par des plaques arrondies, rougeâtres et recouvertes d’une croûte grisâtre, avec des cheveux très courts cassant à la racine. Ces plaques entraînent des démangeaisons pouvant entraîner des lésions de grattage et des surinfections (source : wikipedia).

Transcription

Vente d’entre Pierre Besseire laboureur de Ferroussat et Anthoine et Jehan Chavans freres habitants de Lamontgie, du 1er juin 1615. [Archives départementales du Puy-de-dôme, 5E32 792 – année 1615, notaire Chastagnier Martin à Mailhat]

« Personnellement estably Pierre Bessere laboureur de Ferroussat parroisse de Banssat de son gré etc. a vandu etc. et a tiltre etc. a Anthoine et Jehan Chavans freres habitans de La Montgie parroisse de Malhiat pour ledit Anthoine et le notaire etc. Et par le prix et somme de six livres Tournois payés avant ces presentes comme ledit vandeur a dit et confessé pour quitte etc. et par ledit prix paye et quitte comme dit est a donque vandu Assavoir un chazal de maison et un jardin a chamvre joiniant enssemble situés aux lieu de Ferroussat contenant ledit jardin entour deux coppées de terre ou entour qui ce confine jouxte un chemin publiq de bize dune part, le verger des hoirs Noble Jacques De Bourdelles de jour daultre le champts desdits achepteurs de midy et nuit dune aultre partie avec leurs droits etc. Au cens dou seront monnans que le vandeur ne seu declarer et quitte d’arrerages jusques huy La presente vante faict par ledit vandeur pour emploier largent dicelle pour faire guerir deux de ses enffans de la maladie de la teigne dont ils sont attains nayant heu aultre moiens pour y pouvoir subvenir [formules] Faict a Malhiat en la maison du notaire presant Mathieu Chardy de Vinzelle qui na seu signer ny les parties presentes et Honorable Home Me. Anthoine Desoches Notere royl de Malhiat qui a signé le premier jour de juin mil six cents et quinze avant midy. »

© 2015-2020 HISTOIRE DE FAMILLES D'AUVERGNE ET D'AILLEURS...
| ÉTUDE GÉNÉALOGIQUE | N° SIRET : 80955062700016

normal-logo

SUIVEZ-NOUS SUR FACEBOOK