Les colonnes antiques de Mailhat

Présentation de l’article co-rédigé avec Gabriel Fournier sur les colonnes antiques de l’église de Mailhat.

À paraître dans le second volume de l’ouvrage « Eclats Arvernes – Fragments archéologiques (Ier–Ve siècle apr. J.-C.) » (Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Bet et Bertrand Dousteyssier).

Succédant à un édifice déjà en place au milieu du IXe siècle, l’église de Mailhat est un monument du dernier quart du XIIe siècle (fin de la période romane). Edifiée par les moines clunisiens après avoir été aux mains de milites dans la mouvance des Nonette (l’église revient au prieuré de Sauxillanges à la fin du XIe s.) elle fut le siège d’un petit prieuré mis en défense à l’occasion des épisodes de la guerre de cent ans.

Celle-ci est reconnue pour être atypique, pas uniquement du fait de son plan (nef unique, chevet pentagonal avec niches), mais également du fait de son style élégant et fleuri. Elle se démarque ainsi des autres églises romanes auvergnates au caractère plus austère. Une attention particulière semble avoir été apportée au décor sculpté, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice : chapiteaux, portail, modillons…

Le portail sud retient l’attention du visiteur : par son programme iconographique et par le biais de deux colonnettes originales qui soutiennent les voussures. Celles-ci ont été placées au plus près de l’entrée du sanctuaire, bien à la vue des fidèles. Légèrement galbées, taillées dans du marbre bleuté, elles se démarquent nettement des autres colonnettes adjacentes, par leur forme, leur couleur et leur matière [1,72 et 1,74 m de haut pour des diamètres oscillants de 0,21 à 0,24 m].

Au sein de l’édifice, nous retrouvons encore des colonnes en marbre, au nombre de quatre cette fois, plus sombres et plus imposantes. Elles sont disposées dans le chœur, et viennent souligner un système architectural complexe et original où le double arc brisé, orné d’un boudin central, est accueilli par un jeu de trois colonnes. Tant pour les colonnettes du portail que pour les colonnes du chœur, on a pris soin de les faire reposer sur des bases elles-aussi en marbre [de droite à gauche et d’avant en arrière : 1,68 m, 1,81 m, 1,79 m et 1,70 m de haut pour des diamètres oscillants entre 0,19 et 0,28 m].

Le marbre de ces colonnes n’a pas encore été analysé, néanmoins, notre ami Bertrand Dousteyssier a transmis des clichés à son collègue italien, Fabrizio Antonelli, spécialiste des marbres colorés. Celui-ci remarque que la variété sombre est très proche du marbre grec de Lesbos tandis que celle plus pâle pourrait correspondre à un marbre exploité dans la même île, sur la zone de Thermi.

Si la présence de colonnes antiques en marbre au sein d’une église romane auvergnate n’est pas exceptionnelle, leur nombre (6) fait de Mailhat un cas unique. On en retrouve çà et là dans un vaste val d’Allier à Artonne (3 colonnes), Beaumont (1 colonne), Chamalières (2 colonnes), Notre-Dame du Port (2 bases de colonnes), Saint-Alyre (« plusieurs » colonnes[1]), Combronde (1 colonne et 3 fragments), et, plus près de Mailhat, au sein de deux édifices majeurs : l’abbatiale de Manglieu (2 colonnes supportant l’arc triomphal et un fragment support de bénitier[2]) et la basilique Saint-Julien de Brioude (2 colonnes qui flanquent l’entrée occidentale du porche septentrional[3]).

À l’image de David Morel, on peut être tenté d’interpréter la mise en avant de ces colonnes, tant au niveau du portail que du chœur, comme un moyen de « valoriser un espace privilégié » et d’y voir une volonté de « mythifier les zones de transition et les zones les plus sacrées par une affirmation matérialisée de l’ancienneté ». Laura Foulquier va encore plus loin, en traduisant la présence des objets antiques dans les églises romanes de l’ancien diocèse de Clermont par une intention de « légitimer le sanctuaire et de l’ancrer dans une Antiquité », mise en scène voulue par l’épiscopat Clermontois.

Nous retiendrons pour notre part la manifestation de l’intérêt porté aux antiques par les bâtisseurs de Mailhat au XIIe siècle et l’importance que pouvait avoir ce sanctuaire médiéval aux yeux des moines clunisiens pour qu’ils investissent dans ce riche décor destiné à lui transmettre une forme d’antiquité.

Plusieurs indices sont à prendre en considération pour tenter de mieux comprendre l’importance dévolue à ce sanctuaire de campagne resté en marge des édifices majeurs de l’art roman auvergnat.

Le contexte religieux
L’église de Mailhat, par l’intermédiaire de Sauxillanges, est aux mains des clunisiens depuis le XIe siècle. Elle se situe à la confluence de possessions des grandes abbayes de Manglieu, Brioude et La Chaise Dieu.
Par ailleurs, des faits historiques donnent au site les caractéristiques d’un siège de grande paroisse mérovingienne : persistance d’une société des prêtres, ambiguïté autour du patronage (Notre-Dame et Saint-Jean-Baptiste), pèlerinage à la Vierge, existence cohérente au sein de l’organisation spatiale connue des circonscriptions religieuses de première génération.

Le contexte antique
On ne peut passer sous silence la présence voisine, à Blanède, du plus grand temple « de tradition indigène » reconnu à l’heure actuelle dans la civitas Arvernorum, doté d’un des plus importants périboles dans l’ensemble des Gaules. À quelques hectomètres de Mailhat, sur l’autre rive de l’Allier, le temple était associé à une petite agglomération routière qui avait vu le jour le long de la voie romaine qui reliait Augustonemetum à la capitale des Vellaves Ruessio.

La discrétion de ce type d’élément dans les sanctuaires romans auvergnats fait écho au caractère exceptionnel de ce matériau au sein de la sphère privée gallo-romaine locale. Il n’est pas inutile de rappeler que ces objets sont très majoritairement issus de la sphère publique, utilisés pour ornementer des monuments d’envergure : le temple de Mercure en est l’exemple le plus emblématique.

G. Fournier, P. Fournet

[1] Au XVIIe siècle, Piganiol de La Force indique la présence d’une « quantité de petites colonnes de marbre de différentes couleurs » dans le cloître de l’abbaye. En 1843, J.-B. Bouillet, dans ses tablettes historiques, en signale de marbre vert ou noir aux quatre angles du cloîtres, plusieurs autres d’un beau marbre jaspé et « les plus remarquables étaient des colonnes torses d’un superbe marbre à grandes bandes rouges et blanches ».

[2] Un fragment  de colonne galbée est en remploi dans une cave du village au sud de l’église Notre-Dame.

[3]  D’après Grégoire de Tours, Victorius, gouverneur de l’Auvergne au nom d’Euric, fit transférer des colonnes d’un édifice antérieur dans la basilique de Saint-Julien. On notera également que lors des fouilles du chœur, un fragment de tambour de grosse colonne cannelée a été retrouvé en remploi.

Bibliographie

Henri DONIOL, Cartulaire de Brioude, Liber de Honoribus Sancto Juliano Collatis, Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, 1863, charte n° 77.

Bertrand DOUSTEYSSIER, Des blés sacrés et des sacrés déblais. Le site de Blanède (Le Broc, Puy-de-dôme), dans Eclats arvernes. Fragments archéologiques (Ier-Ve siècle apr. J.-C.), 2014. p. 200-201.

Laura FOULQUIER,  Dépôts lapidaires, réutilisations et remplois (Antiquité – haut Moyen Âge). Pour une nouvelle approche de la christianisation et des sanctuaires de l’ancien diocèse de Clermont au Moyen Âge, Thèse soutenue en 2008 à Clermont-Ferrand.

Gabriel FOURNIER et Bernadette FIZELLIER-SAUGET, Saint-Julien de Brioude (Haute-Loire) : approche archéologique dans Bernadette Fizellier-Sauget (dir.) L’Auvergne de Sidoine Apollinaire à Grégoire de Tours, Actes des XIIIemes journées internationales d’archéologie mérovingienne, Publications de l’Institut d’Etudes du Massif Central, Fascicule XIV, 1999, p. 146.

Arlette MAQUET, Cluny en Auvergne, Ville de Souvigny, 2007, p. 95-97.

David MOREL, Tailleurs de pierre, sculpteurs et maîtres d’œuvre dans le Massif central. Le monument et le chantier médiéval dans l’ancien diocèse de Clermont et les diocèses limitrophes (XIe – XVe siècles). Thèse soutenue en 2009 à Clermont-Ferrand, t. 1, p. 341-342.

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